Presse / Média

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ROCK & FOLK

Écrit par Agnes LEGLISE

Retranscription de l’article :

Hasard des lectures, “Chair Punk” de Voto, est, lui aussi, une évocation du punk français et si l’angle est plus général, c’est bien le même petit monde des années 80 qui y est traversé et décrit. Petit monde mais personnages hors du commun, tous à leur façon, profondément révoltés et passionnés tout autant que perdus et largués. Voto, ex-journaliste devenu documentariste, y était et par chance, s’en souvient, ce qui n’était pas gagné. Seize ans en 1977, un penchant pour l’inconnu, un goût pour le massacre musical et hop, un monde s’ouvrait à vous. Pas la vie facile, c’est sûr, mais bières, drogues et Dr Martens pour tous, programme assez séduisant pour les rares qui ne partageaient pas alors les désirs de la grande majorité de leurs contemporains d’une vie rangée, une R5 et un pavillon dans un lotissement. La rébellion était profonde, la colère et les provocations qui en résultaient aussi, à la mesure du slogan punk que l’état du monde aujourd’hui rend chaque jour plus terriblement pertinent, no future. Voto, dont la langue prolixe rend compte de l’urgence alors ressentie, retrace parfaitement les ressorts et les contours de cette presque communauté punk qui existait alors. Les groupes étaient proches et fluctuents, les scènes, les bars, les squats et les dealers étaient les mêmes et la carte qu’en dresse en creux Voto rend compte fidèlement de cet univers et rappellera aux concernés un paquet de souvenirs d’un Paris alors vraiment rock, aujourd’hui disparu et injustement oublié. Injustice d’autant plus flagrante que l’influence punk se devine aujourd’hui dans tous les domaines artistiques et a envahi notre quotidien, influence sans commune mesure avec la petite poignée de barrés qui a initié cette explosion salutaire et parfois littérale des codes esthétiques et du bon vieux bon goût. Chers punks, merci.

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PERSONA

Écrit par VOTO

Retranscription de l’article :

L’univers du rock n’a pas fait grand-chose pour changer la condition de la femme dans la société. Au contraire, le concept de gentille fille au service du masculin fonctionne pleinement chez les blousons noirs. Les rockeurs idolâtrés extériorisent leurs violences électriques et vocales devant des parterres de filles admiratives. Les rockeurs palpent du fric, ramassent des camions de groupies, brillent dans les médias et jettent leur pognon par les fenêtres de la Cadillac alors que les filles se maquillent pour séduire, chantent comme choristes dans le fond de la scène et s’évanouissaient dans les bras du service d’ordre. Le rock couillu va jusqu’à demander à Annie Lennox, la chanteuse d’Eurythmics qui a les cheveux courts un certificat de naissance pour qu’elle prouve qu’elle n’est pas un travesti. L’ambiance se débride dans le punk ou les filles qui passent de l’autorité paternelle à celle du mari montent sur scène sans savoir chanter. Les punkettes improvisent et provoquent sans aucune intimidation. Elles jouent de la batterie les jambes écartées et osent leurs trois accords appris la veille en s’autorisant le désastre d’une performance à l’égale d’un frangin. Elles se dépassent, se recousent, se peinturlurent et s’écroulent sans permission.

Bien sûr qu’il y avait des filles pas possibles avant le punk, mais elles étaient rares et éparpillées. De Janis Joplin à Nico du Velvet Underground, leurs dérives devaient s’accompagner d’un passeport exceptionnel, d’une voix en or, d’un corps de rêve ou d’un tempérament de feu. Tous les punks sont loin d’être des exemples de tolérance, mais dans l’ensemble, ils s’avèrent bien plus accueillants envers les filles que dans n’importe quel autre mouvement. Par son esprit collectif, le punk laisse la parole au plus grand nombre. Il n’est plus question d’accéder aux statuts de stars intouchables, mais d’élargir les limites du territoire artistique. En clouant le bec au professionnalisme rock, l’amateurisme punk redistribue la parole aux plus démunis. Dans le punk, la musique n’est plus un métier de virtuose, mais un tapis d’éveil où le groupe et le public sont les mêmes quilles.

Pas mal de filles se manifestent dans la bande du Bromley Contingent gravitant autour des Sex Pistols dont Chrissie Hynde, la future chanteuse des Pretenders. Loin du jeu de la séduction, elle pose nue avec du texte sur les fesses pour promouvoir la boutique de

Viviane Westwood, la styliste du punk qui commercialise les fringues des rues qu’elle croise avec des tenues SM. Siouxsie Sioux, une autre fille du Broomley Contingent ne passe pas inaperçue avec ses maquillages égyptiens au cirage et ses cheveux courts jaune-poussin. Elle remet à sa place Bill Grundy, le présentateur vedette qui la drague ouvertement lors de l’émission de télé des Sex Pistols qui scandalise le Royaume-Uni. Ses incantations divines, ses pauses provocatrices et ses looks gothiques vont marquer l’époque. Lors de l’unique concert français des Sex Pistols au Chalet du Lac, elle se fait courser dans le bois Vincennes parce qu’elle porte un brassard nazi.

Les filles des Slits, (les fentes), considérées comme les petites soeurs des Pistols se promènent avec des Tampax derrière les oreilles et se coiffent comme des méduses. Plusieurs hôtels leur ferment les portes à cause de leurs extravagances. Elles se font cracher dessus, poignarder et agresser sexuellement. Les émeutières de Londres prennent soin de déchirer leurs bas pour rendre hommage aux prostitués obligées de les changer pour ne pas faire fuir la clientèle. Tant d’autres filles du punk comme Poly Styrène, la chanteuse de X-Ray Spex, refusent le jeu de la séduction. Poly exhibe les bagues de son appareil dentaire, porte des vêtements très larges, ne prend pas soin de ses cheveux et chante d’une voix stridente pour déplaire. Son audace écrase son professionnalisme qu’elle ne souhaite pas atteindre. Quand on la traque pour une couverture de magazine, elle se rase la tête.

Suite de l’article :

À New York, la belle Blondie fréquente les monstrueux Ramones. Avec son disco punk pétillant, elle devient la reine du Pop Punk.

Lydia Lunch retourne son public en affrontant ses traumas sur scène. Elle dénonce les abus sexuels et expose ses obsessions dans des «Spoken words», (des textes parlés plus que chantés). Lydia revendique le Pro-sexe dans ses chansons, ses livres et ses réalisations. Comme les hommes n’ont pas de problème à extérioriser leurs fantasmes, les femmes doivent trouver leur espace. Pour Lydia la prostitution en est un. Elle est pour la pornographie sans qu’il soit nécessaire d’insulter l’intelligence. Lydia conseille de sortir de la victimisation et de ses schémas émotionnels, pourquoi pas en tendant vers le délice de l’obsession.

Toujours à New York, Wendy O. William, la chanteuse des Plasmatics plante son corps de rêve sur scène comme une machine de guerre armée d’une tronçonneuse. Elle sillonne l’esplanade seins nus avec les tétons recouverts de scotch noir. Elle porte une immense crête et s’accompagne de musiciens en tutus tatoués de partout. Elle subit moult arrestations pour ses conduites obscènes. Après avoir passé sa vie à mettre le feu sur scène, Wendy finit par se suicider à 48 ans.

Patti Smith s’autorise toutes les expressions. Elle poétise à la Rimbaud et se démarque à la Genet. Adolescente, elle se révolte contre les stigmates de la ségrégation. Elle fugue et s’habille comme un garçon. Elle parle dans le micro quand les autres braillent dedans. Elle exprime son désir féminin avant d’assouvir celui du genre dominant. Elle croise littérature, dictions, performances et danses incantatoires enchanteresses. Son album Horses sorti en 1975 scandalise par sa première phrase inspirée par Albert Camus : «Jésus est mort pour les péchés des hommes, pas pour les miens». Sa musique s’oppose au rock consensuel, misogyne et normé. Elle rédige Dream of Life en 1981, l’hymne à la liberté le plus enthousiasme de la Pop Culture. C’est la grande poétesse incontestée du punk. Plus barge que les barges, Nina Hagen massacre mieux que Sid Vicious la chanson My Way (Comme d’habitude) de Claude François. La mother of punk fait scandale en se masturbant à la télé en direct en attendant la question du présentateur. Prodige de l’opéra depuis le plus jeune âge, elle mélange à merveille les hurlements et les envolées lyriques en langue allemande. La reine de la grimace joue de tous les maquillages et de tous les déguisements.

Dans les années 70 en France, il faut lutter contre la niaiserie orchestrée de Gainsbourg qui glisse des paroles tendancieuses dans la bouche de France Gall (Annie aime les sucettes). Il faut se boucher les oreilles quand Sylvie Vartan chante : «Ce soir je serai la plus belle pour aller danser.» Les filles du Yéyé ne sont là que pour l’innocence, la soumission, la fragilité, la timidité et la reconnaissance. Même si Catherine Ribeiro ne s’est jamais laissée faire, il faudra attendre Catherine Ringer pour envoyer chier Gainsbourg qui la traite de pute. En pleine vague punk, la chanteuse de Rita Mitsouko balance son Tampax usagé sur son public. Pamela Popo s’installe à la batterie des Lou’s sans aucun complexe à la manière de Moe Tucker, la batteuse du Velvet qui donna ses premières lettres de noblesse à l’amateurisme punk. Nina, la chanteuse de Lucrate Milk joue du piano avec des gants de boxe. Avec le punk, les femmes, les pédés, les jamaïcains, les gosses, les chaises roulantes et les transsexuels ne montent pas sur scène pour briller dans un rond de lumière, mais pour dilater les yeux de leurs proches.

Entretien avec Voto (par Frédéric Lemaître)

VOTO EST NÉ EN 1961, L’ANNÉE DE LA CONSTRUCTION DU MUR DE BERLIN. IL PASSE SA JEUNESSE À SUIVRE LES CRAPULES DU BAHUT ET SE RETROUVE DANS LA MARMITE DU PUNK ET DES CRÉATIFS DE LA DÉBROUILLE. DANS LE DÉBUT DES ANNÉES 80, SON FANZINE CRISANTEM ÉVOQUE LES PRÉMISSES DES GROUPES PUNKS QUI TOURNENT AUTOUR DE SES POTES, LES LUCRATE MILK ET LES BÉRURIER NOIR.

Son livre Chair Punk sorti en 2018 mélange son parcours personnel à l’histoire du punk américain, anglais et français. À l’aise dans les yeux de ses confidents, ses témoignages filmés illustrent également le projet PIND (Punk is not dead, une histoire de la scène punk en France, 1976 – 2016).

FL : Le nom de ton fanzine Crisantem, m’a tout de suite fait penser à l’album d’Oberkampf, était-ce lié?

V : Je n’ai jamais su si ce nom les avait influencés pour leur disque, car mon fanzine a existé avant leur album. J’adore les jeux de mots. Pour moi c’était ça ce fanzine, «un cri sans thème», «une crise en thèmes»… une phrase ramassée en un mot. Il y avait aussi le côté morbide pour la sombre rigolade. Dans la proximité de Lucrate Milk, il y avait toujours cet humour noir sur la mort, la maladie, le sordide… ça n’était que pour électrifier nos créations, pour les rendre plus intenses. Ce nom se prêtait donc au noir et blanc du zine et de son graphisme au scalpel.

FL : «Pour la plupart des gens, les punks sont violents, sales et attardés» lit-on dans ton livre. «Ce sont des punks à chien qui zonent une bière à la main en compagnie de leur clébard». Il y avait une méprise dès le début.

V : Chaque minorité se fait cartonner par la masse qui s’en prend toujours à ce qui dépasse. C’est le pissenlit qui surgit du bitume. Plus l’ignorance de la majorité au sujet d’une minorité est grande et plus elle se focalisera sur un détail. Pour la plupart des gens, le punk n’est qu’un crétin (porteur de crête) en couple avec son « iench». Peu connaissent l’existence du punk créateur de label et responsable de ses concerts qu’il organise lui-même avec ses potes. Peu connaissent l’origine d’un acte de vandalisme qui pourtant possède bien souvent de bonnes raisons d’être. À la base, une punkette qui lacère ses bas résille rend hommage aux prostituées obligées de les remplacer pour plaire à la clientèle. Par ce geste, les punkettes dénoncent une fois de plus la soumission féminine au genre dominant. Comme les punks, les homos subissent l’insulte, mais comme les punks, ils se l’approprient et retournent l’insulte en fierté. À ce sujet, l’un des slogans du punk est : «We are all prostitutes». Le punk est un sale gosse qui ose faire les choses avant de les apprendre d’un professeur autoritaire. Le punk fait le mur et se barre en sucette avant d’accepter sa place de looser dans le fond de la société. Il se débrouille par lui-même sans lâcher sa particularité créative. Einstein disait que la logique vous emmène d’un point A à un point B, mais l’imagination vous emmène partout. Un vent de liberté accompagné d’une envie de se démarquer souffle dans le punk. Je vois trois catégories : les colériques qui s’énervent contre la culture de masse, les faiseurs qui mettent en place et puis les artistes qui montent des groupes complètement barrés. J’ai toujours eu un faible pour ces derniers comme les Lucrate Milk. Ce qui est drôle c’est qu’aujourd’hui ils aiment vraiment la musique alors qu’à l’époque, ils adoraient jouer n’importe comment. Le plus important était de faire des conneries sur scène, d’emmerder le public pour vider la salle et de chahuter les autres punks qui en redemandaient. Il fallait toujours surprendre. Jouer des « pouets » au saxo et massacrer le clavier avec des gants de boxe. Pareil pour les Bérus qui dévastent leur public en récitant des textes situationnistes et en passant des masques effrayants. Les textes, l’attitude et le comportement priment sur la musique. Même l’espace musical en bénéficie. Pour ma part, mon expression s’est lâchée dans la peinture, le collage, le détourage, le dessin et le graphisme. Le vent collectif du punk permet de rassembler les fous du village. Le plus important de cette affaire tribale reste la considération à égale distance de tous les membres de la tribu. Un musicien vaut autant que le mec à la pompe à bière. Le mec qui distribue les flyers une semaine avant est aussi important que celui qui arrache le micro. Le rock a monté des groupes, mais le punk a imposé des bandes en installant le spectacle autant sur scène que dans la salle. En invitant leurs potes sur scène, ils ont dématérialisé la distance qui séparait autrefois les vedettes de leur public. Didier Wampas se promène sur son public assis sur une chaise. Quelle rigolade pour les groupes de prendre le contrepied des propos du journaliste pensant comprendre l’attitude punk. Dès qu’il y avait un article de presse disait « les punks c’est ça », ils faisaient autrement. La bande de Lucrate Milk s’est mise à sérieusement aimer Julio Iglesias, car il était impensable qu’un punk aime ce genre de chanteur ! Le point commun de pas mal de punks est la distance prise envers la famille. Alors qu’il ne s’encombre pas de l’emprise parentale, il forme un cercle familial plus large composé des membres de la bande. En 77, 68 va bientôt avoir dix ans. Il n’est plus question de s’en prendre à papa et à maman, il est question d’exister en priorité.

FL : Comment as-tu pensé la rédaction de ton livre ?

V : Au départ je voulais faire un film, Mais je n’ai pas trouvé les financements. Quand j’ai bifurqué sur l’écriture, j’ai voulu croiser mon parcours personnel avec des infos sur l’époque. Je ne voulais pas, jouer l’historien extérieur ni le militant pur et dur concerné dans sa chair à chaque ligne, alors j’ai tenté l’entrelacement des deux, mes histoires dans l’histoire du punk. Je ne suis pas un pilier du mouvement et justement j’ai donné la parole aux anonymes parce qu’à mon avis, ils représentent le punk bien mieux que ceux qui ont signé dans des Majors. Les critiques de mes proches m’ont aidé à le rédiger. Pour moi, le résultat s’adresse bien plus à ceux qui n’ont pas connu l’aventure, comme mes fils par exemple. Quel intérêt d’écrire un livre punk pour les punks? J’espère avoir précisé certaines choses jamais relatées par des journalistes peu concernés par le sujet. N’oublions pas qu’à l’époque les revues de rock ne parlaient jamais des groupes punks français. Ce livre m’a fait recroiser pas mal d’anciens et l’étape suivante pour moi est de les suivre en images. Depuis quelques mois je les filme pour le projet PIND. Chaque filin aura sa particularité. Nous verrons ensuite comment le projet évoluera. J’aime ce travail de mémoire qui me rapproche une fois de plus du nectar de mes souvenirs.

FanXoa

(Bérurier Noir)

L’auteur/activiste nous prévient dans les dernières pages du premier chapitre. Il va se livrer à un exercice emphatique et énergique sur son expérience punk dans un cadre social élargi et dans son environnement urbain naturel et surnaturel : « Autorisez-moi la subjectivité joyeuse, la sincérité du mensonge et l’exagération arbitraire. […] Pardonnez ma tendresse envers des potes qui ont roulé leur bosse à l’envers (p. 34-35) ». Bienvenue dans le labyrinthe des Halles, à la Fontaine des Innocents, dans les lieux emblématiques du Paris Punk : les disquaires (Harry Cover, Open Market, Music Box, New Rose), les squatts et lieux autogérés (Pali-Kao, L’Usine, Botzaris, La Miroiterie…), les espaces sauvages investis, les friches occupées provisoirement, les abattoirs en ruines et les habitats détruits… une poubelle, une bouche de métro, un banc au Palace… de la Valstar comme bière, du Fringanor en speed, de la Dissoplast pour nos neurones et de la dope pour de terribles overdoses.

Le récit est brut et efficace mais toujours affectueux. Comment ne pas l’être ? L’écriture est à l’image de ce mouvement : chaotique, drôle, surréaliste et survitaminée, rythmée par des doses répétées d’adrénaline. Survoltée. Intense. Urgente. Une écriture haletante, avec le souffle du souffre. Cette prose ressemble à une logorrhée raggamuffin inépuisable, avec des successions de phrases en contraste, des jeux de mots sans terminus, une jungle d’effets crédibles pour saisir des réalités qui vacillent et brûlent la chair punk, objet du désir. En huit chapitres thématiques superbement descriptif, organisés selon un regard subjectif parfaitement assumé, les lecteurs sont initiés à l’aventure punk parisienne, avec des touches londoniennes, parfois américaines ou provinciales. Le tableau social et culturel est complet. On part du cercle familial pour enjamber la  classe de troisième et aboutir aux brûlures collectives : Radios Libres, Fanzines, expériences graphiques, croquis de groupes, DIY à l’arrache et coups de cutter sans garde-fou. Les portraits de Voto nous font vivre quelques instants périlleux aux côtés de Maxwell, Fuck, Snuff ou Corso dont l’histoire à elle seule est un road movie destroy.

La raïa des années 1980 est présente partout et surtout à travers la bande à Lucrate Milk, le groupe le plus décalé – en réalité le plus punk “no wave” – de la scène parisienne et dont la figure iconique de Nina vaut toutes nos héroïnes d’outre-Atlantique. Les bandes qui se toisent comme des chiens fous, se poursuivent comme des chats perdus ou s’affrontent dans des rixes rituelles côtoient les artistes de Bazooka, le styliste Rafik, les dandys pacadisiens overdosés, les galériens de tout acabit, les furieux de tout mais pour rien. Les filles tendres et déjantées, dans ce monde de mecs colorés, ont également leur place avec Dolly, Sabrina, Irène et Alice l’eurasienne. Le tableau de Voto passe du fluo au “noir et noir”, de la cravate rayée jaune et rose, de la chemise déchirée au complet militaire façon Throbbing Gristle. De la gloire des Uns dans l’urgence alternative à la défaite des Autres dans l’égocentrisme mercantile. Ce livre de 333 pages est une invitation à engloutir l’intensité punk par effraction.

Il fallait quelqu’un pour coucher sur le papier ces portraits de fin de siècle. Et Voto, par sa discrétion naturelle et son respect de cette humanité excessive et contrastée, fut un observateur attentif souvent aux premières loges, aux avant-postes de Gai Pied à Crisantem, un compilateur de polaroid d’une aventure à la fois géniale, anti-héroïque, téméraire et largement suicidaire pour certains. On pense aux destins écourtés de nos amis Helno, Crad, Corso, Maxwell et de tant d’autres, des fous de vie, perdus dans le jeu de la mort. On pense aux exploits des Merdes en banlieue, ceux des Endimanchés, campagnards ferrailleurs vociférant aux accords néants, ceux de Bérurier Noir en masque de survie puis d’espoir avant d’étouffer, de La Mano Negra de la zone de la place Pigalle au théâtre de rue à Caracas, ceux des Cadavres toujours exquis dans un vomi philosophique… Il fallait ce récit pour ouvrir le champ d’une histoire en devenir aux conséquences imprévues, une histoire aussi brève que fragile, aussi belle que dangereuse. Une histoire certes parisienne mais qui trouve des résonances et des similitudes dans la punkitude des autres rats des villes et campagnes de cette chère « zone mondiale » avant-gardiste et sans peur.

Comme le rappelle Voto, “tout crachat mérite que l’on étudie sa trajectoire”. Et dans cet orgasme adolescent, l’auteur a ouvert la porte aux récits des autres témoins et aux textes des artistes pour que les chairs punks se mélangent et forment cette osmose universelle partagée par les avant-gardes du monde entier. Son bilan autobiographique, musical et socioculturel est à lire pour saisir le caractère aléatoire et éphémère de nos vies. A lire pour saisir l’urgence d’une expérience à jamais inscrite et marquée au fer rouge, dans nos chairs entamées, fatiguées ou ressuscitées. A lire pour saisir cette chance d’avoir traversé une aventure sans réseaux sociaux virtuels, sans bouée de secours, propulsée par les « derniers rebelles doués d’authenticité simpliste ». Si Voto remercie le punk pour tous ses excès, pour sa joie de vivre et de détruire, nous devons lui retourner le compliment par un bras d’honneur fraternel. Salut à toi l’ Thaïlandais.

F